Simon

Simon

« Au début de la COVID, on était censé partir en voyage toute la famille. »

« Sauf que là, arrive la grosse incertitude, y’avait évidemment de la pression pour qu’on reste, mais pas encore de directives claires.
On avait mis quand même beaucoup d’argent là-dedans, c’était un gros trip familial planifié depuis longtemps. À cinq jours du départ, y’avait aucune chance de report ou de remboursement, selon ce qu’on lisait un peu partout. On s’en venait pas mal nerveux.
Et cette journée-là, le premier ministre du Canada annonce en conférence de presse : “On ferme les frontières.”
Cette déclaration a fait en sorte que le site Web du gouvernement canadien a été mis à jour. Les directives officielles qu’on espérait depuis un bout étaient rendues publiques. En une heure, les compagnies d’assurances ont également ajusté leurs sites : reports possibles, crédits voyages offerts. Le stress est tombé.

Là, j’ai dit à ma blonde : “Heille, je viens de vivre à quoi je sers!” »

Son rire se déploie comme un parachute : soudain, ça va bien.

Simon est directeur de la communication numérique (WEB) et de l’édition pour les ministères de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur et de la Famille. Depuis plus de dix ans, il œuvre dans la fonction publique.

À ces mots, les stéréotypes pourraient défiler : la paperasse, les labyrinthes bureaucratiques, les paravents beiges, etc.

Il sourit, convoquant d’un geste serein l’ombre de ses collègues « dynamiques », « pété.e.s », « funs ».

« Oui, les paravents sont beiges, mais de l’autre bord, y’a toujours une personne cool. »

Et surtout, compétente. Engagée. Utile.

« Est-ce que j’ai l’impression de servir les citoyens? Encore plus depuis que j’suis au Web, parce que tout est de plus en plus pensé “citoyen” : l’information, sa structure, le choix des mots. Est-ce qu’ils ont trouvé ce qu’ils voulaient? Sinon, on ajuste, on améliore quand c’est possible. On prend le langage administratif – ce dont on veut parler – et on le transforme pour parler clairement aux individus, répondre à leurs préoccupations.
Ça, ça fait une différence. »


Bien avant de le croiser sur les étages du Complexe G à Québec, c’est dans les forêts de Charlesbourg qu’on voyait Simon passer en flèche.

« J’étais un p’tit gars qui aimait beaucoup jouer dans l’bois, construire des camps, aller au Patro Laurentien. »

Son caractère lunatique et rêveur fait de lui le « mouton noir » d’une famille de trois garçons. S’il n’est pas en train de dessiner, il enfourche son vélo et ratisse les rues feuillues de Lac-Beauport et d’Orsainville pour inviter ses ami.e.s à lui renvoyer le ballon.

« En vieillissant, j’ai développé un profil plus sportif.
J’ai joué pas mal au football, au basketball, au volleyball. »

Simon s’investit à fond dans ce qui le fait vibrer. Et surtout, il aime passionner les gens pour ce qui le passionne.

« J’ai été dans un camp de vacances jusqu’à 14-15 ans, parce que ma gang d’ami.e.s était là. À 16 ans, j’ai tout de suite “switché” moniteur, puis directeur de terrain de jeu. J’ai toujours aimé ça, le lien avec les jeunes ; j’ai aussi coaché au football alors que je jouais dans une ligue senior. »

Ce désir de passer son savoir lui donnera une piqûre qu’il prendra du temps à remarquer. Mais c’est toujours là, ponctuant ses choix de vie.

Il s’investit au football au point de convoiter un avenir dans les ligues collégiales. Il quitte Québec pour Victoriaville, qui l’approche pour intégrer son équipe. Il utilise ses bonnes notes pour entrer en sciences pures (puisque « ça ouvre des portes! », précise-t-il sur un ton moqueur). Rapidement, il s’y sent pris, à côté de lui-même.

« J’aimais pas la chimie ni la bio, j’voulais pas devenir médecin. J’savais pas trop où j’voulais aller dans la vie, au fond. »

Il choisit d’abandonner le sport collégial pour revenir dans la capitale et s’inscrire au cégep en graphisme, ce qui lui colle tout de suite à la peau. Une fois sa technique en poche, il se retrouve dans l’équipe de QuébéComm – « qui a lancé le Grand Rire Bleu » – où il développe son style  : « Ça m’a permis de monter un portfolio de la mort pour un gars de mon âge. » Cet emploi le met du même coup en contact avec des relationnistes de presse.

«C’est là que j’ai réalisé que j’voulais pas devenir une personne hyperspécialisée, particulièrement sur le plan informatique.
Je voulais plus être généraliste, toucher à tout, bien comprendre l’ensemble des choses.
J’voyais c’que mes collègues faisaient en comm et ça m’a interpelé. »

Il entame alors des études universitaires à temps partiel (terminées à temps plein) qui le mèneront à obtenir un baccalauréat sur mesure alliant communications publiques et arts visuels. Il y ajoute des cours en enseignement « parce que là, j’aimais ça. »

Par deux fois, l’occasion de devenir enseignant en graphisme lui glisse entre les mains.
« À ma première entrevue, y m’ont pris de court : “T’as une entrevue demain, monte-nous un cours.”
Ils cherchaient un profil un peu plus communicateur graphique, mais puisque j’avais pas eu le temps de me préparer, je leur ai fait une présentation trop technique.
À la deuxième opportunité, j’étais mieux préparé, mais tellement investi en comm qu’y m’ont probablement pas trouvé assez spécialisé pour la fonction. Et l’autre candidat était juste excellent, en plus d’être rapidement dispo! »

Ces rendez-vous avec la vie sont manqués. Mais il ne sait pas encore que, d’une manière ou d’une autre, il jouera un rôle fondamental dans le domaine de l’éducation.


À 27 ans, un bête accident alors qu’il est à la pêche le cloue à une chaise pendant tout un été. Ce temps d’arrêt le pousse au bilan, qu’il constate plus essoufflant qu’il l’aurait imaginé.

« Ça faisait dix ans que je travaillais en événementiel. J’avais pas de sécurité, j’enchaînais les contrats.
J’ai décidé “Ça suffit”.
J’me suis donné des objectifs. J’voulais être plus stable.
J’ai fixé un horizon avant trente ans : plus stable sur le plan de l’habitation, plus stable en amour, sur le plan financier aussi, me prendre au sérieux.
J’ai terminé mes études en travaillant à mon compte. Même si j’ai eu de belles réussites, ça restait des contrats.
Fallait que je réajuste. Que je fasse une différence, quelque part. »

En 2008, il atterrit dans l’équipe des festivités du 400e de Québec. Mais c’est encore un emploi à échéance : « C’était un drôle de contexte, les derniers mois : en 2009, tu le sais que tu perds ta job. Donc tout le monde se parlait ouvertement d’où on appliquait et ce qu’on visait pour l’après. » Au fil du temps, des collègues quittent, lui ouvrant le champ pour toucher aux relations de presse : « Mes premières conférences de presse, mes premières rédactions de communiqués. Sortir de la pub. J’ai vraiment aimé ça. » Il se diversifie, ajoute des cordes à son arc.

Et éventuellement, entre deux discussions avec des collègues sortant.e.s, l’idée est évoquée.

La fonction publique.


« Au début, j’avais des appréhensions, tsé. J’arrive du milieu de l’événement, et j’tombe dans les régimes de retraite! »

Après avoir réussi ses examens d’entrée, Simon se retrouve à la Commission administrative des régimes de retraite et d'assurances (CARRA, qui devient Retraite Québec après une fusion en 2016). « Pas très sexy comme sujet! », qu’il se dit.

Heureusement, le désir de comprendre l’emporte et l’intérêt se développe. Il tombe sur des collègues jeunes, allumé.e.s. « Tout le monde avait 20-30 ans. Le même type d’équipe qu’en événementiel. Ç’a tellement été une belle année. » Il y découvre un côté plus créatif et éclaté qu’il n’y paraît.

« Mon directeur était totalement ouvert aux idées nouvelles, parfois un peu loufoques.
Sans grand budget, on a fait des actions de comm à l’interne qui se verraient probablement plus aujourd’hui, notamment en gestion du changement pour un chantier informatique qui transformait les façons de faire.
Par exemple, on jouait sur le cynisme des employé.e.s pour le contrer.
On a fait des caricatures dans les bulletins, des campagnes d’affichages sur les paravents.
Ça m’a fait dire que “Hein, y’a quand même de la créativité au gouvernement!” »

Conforté par ce nouvel environnement accueillant, Simon se réaligne sur son intérêt premier : l’éducation. Par là, il désire faire une différence dans la vie des gens à travers une mission à vocation sociale. Une opportunité lui permet de postuler au ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur. Et tout de suite, son profil éclectique de communicateur touche-à-tout séduit.

Le voilà au cœur de sa passion. Depuis dix ans déjà.

Tirant à profit les différents apprentissages qui l’ont forgé, il pilote entre autres le rapatriement des informations Web destinées à la population vers le site Québec.ca. Rapidement, il comprend qu’il peut mobiliser l’ensemble de ses savoirs pour développer un service qui sert réellement les Québécois.e.s :

« Comme me disait un collègue, “L’effet WOW pour le citoyen d’aujourd’hui, c’est de trouver l’information qu’il cherche dans des mots qu’il comprend.” C’est aussi là que je vois que mon travail est important.
J’peux avoir de l’impact. »

R.I.M.A.T.

Réflexion. Imagination. Médiation. Action. Traditionnel.
« C’est mon profil psychométrique.
Quand t’es I, t’es rarement T.
Mon R contre-balance mon I.
Ça fait que j’suis pas tant dans la création “ad lib” .
On a une idée, mais comment on la concrétise? »

Et cette idée à concrétiser, au-delà d’un travail stable et d’un avenir en éducation, c’est aussi une famille, une conjointe qu’il aime, une fillette de 3 ans avec qui apprendre et grandir, deux belles-filles aussi, à qui passer des valeurs et partager des passions. C’est l’occasion pour lui de transmettre la « culture familiale de s’entraider » qu’il a acquise de ses propres parents.

« J’ai toujours l’esprit de gang, de communauté. »

« Dans la famille de mon père, tout le monde va être là si tu construis un cabanon ou rénoves une cuisine.
Pour moi, c’est aussi important de penser à l’impact qu’on a sur les autres.
J’voulais pas d’enfant unique; j’voulais que mes enfants apprennent à vivre ça. »

Maintenant solidement ancré dans la vie, il regarde derrière lui et s’illumine. Il revoit son parcours où les obstacles sont devenus de belles histoires, où les décisions sont devenues des rêves réalisés.

« Quand à 27 ans, j’ai décidé que je m’engageais vers une plus grande stabilité, ç’a été un moment crucial dont je suis encore fier.
J’me suis fixé ces objectifs-là, ben crime, j’les ai atteints.
Après, est-ce que maintenant j’suis un peu trop dans ma zone de confort?
Est-ce que j’suis dû pour du changement?

C’est une question qu’on doit se poser régulièrement. Je trouve ça important de rester vivant, de pas s’enliser, de se requestionner.
Du changement? Assurément un jour, mais peut-être pas tout de suite, parce que je crois encore pouvoir contribuer à quelque chose de plus grand que moi, d’utile, de relever des défis stimulants, et d’avoir du plaisir à le faire. »

Peut-être conjuguera-t-il bientôt sa vie au Complexe G à de nouveaux défis  : grimper de plus grands sommets, accompagner des jeunes ou s’investir dans des projets artistiques.

Mais d’ici là, son cœur d’enfant reste bien haut dans cette tour, où il éclaire à perte de vue.

Retour à la murale