Olivier

Olivier

Voici Olivier et, tout de suite, il a quelque chose de graphique.

Ses lunettes dessinées au trait gras invitent à s’attarder sur ses yeux clairs.
Un sourire courbé vers le haut, une courte barbe tracée par coups rapides, avenants.
Une carrure de protagoniste, qu’on suit d’album en album.

Et quand il parle, on voit les lieux apparaître, ils prennent toute une page.

« La rue Champlain, derrière le Club Sandwich. »
« Aix-En-Provence. »
« Rue Fullum. C’était vraiment trash. »
« Sillery. »
« UQÀM. »
« Queen’s, à Kingston. »
« J’habitais sur St-Hubert proche de Mont-Royal. Tsé, où le p’tit croche?  »
« La Guadeloupe. Le paradis sur terre. »

Parce qu’au-delà des endroits, ce sont les gens qui se détachent du décor. Il va à leur rencontre, se rappelant constamment qu’il faut sortir de son cocon pour apprécier la complexité de la société qui nous entoure.

« La seule raison pourquoi j’m’ennuie de Montréal : la mixité.
Dans son ensemble, Québec est une ville assez homogène : tout le monde s’habille chez Simons!
J’me dis “C’pas ça, la vraie vie.”
Faque des fois, j’en ai besoin : j’pars pis j’viens passer deux heures dans St-Roch. On y voit d’autres mondes, ça fait du bien.
Quand j’ai le temps, je m’assois dans la vitrine de la Brûlerie pis je regarde les gens qui passent. J’essaie de deviner c’qui font dans’ vie. »

Encadré par la fenêtre du café, il suspend son rôle d’avocat et de père de famille pour observer les rouages de sa ville qui tournent rondement.

Jusqu’à ce qu’un signal s’illumine dans le ciel : le revoilà reparti défendre la juste cause.

On tourne la page.


Fils de père jésuite défroqué, passionné de cuisine, de BD et de musique, grand voyageur : on comprend pourquoi Olivier se décrit comme un « avocat atypique ».

Pourtant, son parcours le dirige d’abord vers la diplomatie. Après un bac en science politique à l’Université Laval, il entame une maîtrise dans le domaine à l’UQÀM. Deux avions à New York viennent cependant ébranler ses plans.
« Y’a eu septembre 2001 : ç’a tout chamboulé la géopolitique internationale. Mon projet de maîtrise marchait pu vraiment. »

Il rentre alors aux cours du soir en droit à l’Université de Montréal (UdM), au départ surtout par nécessité : « J’me suis dit “Faut que j’me trouve une job, j’suis rendu à 28 ans. Faut que j’gagne ma vie. Pis j’pense que le droit peut être utile.” » Mais rapidement, il trouve des liens entre son intérêt pour l’appareil politique et le métier d’avocat.

« J’ai toujours eu en tête que je suis un élément du système démocratique, pis qu’on a un rôle à jouer comme avocat : assurer la protection de l'État de droit, assurer les intérêts des citoyens pis éviter les conflits. »

« Avant, les gens s’poignardaient, y réglaient leurs comptes aux poings ou d’autres façons. Nous, on veut éviter ça : on agit comme intermédiaire pour régler un problème. »

Sa détermination le mène à Kingston, où il étudie la Common Law. Son sens de la justice et son besoin intrinsèque « d’aider le monde » se démarquent : un cabinet de Montréal le repère dès sa deuxième année. Il y travaillera un an et demi.

On tourne la page, et les couleurs s’assombrissent. Des douleurs au dos s’invitent entre Kingston et Montréal.

« J’pensais que c’était une hernie discale.
C’était l’temps des fêtes, j’suis revenu à Québec.
J’avais tellement mal, j’v’nais au complet en sueur.
Mon père a dit “Ç’a pas d’allure.”
Y m’a fait passer une résonance magnétique au privé.

Finalement, c’est mon médecin traitant à Montréal, des semaines plus tard, qui m’annonce : “Bon. T’as des tumeurs dans la colonne, dans la moelle épinière.
Tu t’en vas à l’urgence tout de suite.”

J’me mets à shaker. J’me mets à pleurer. J’ai pas d’argent, j’ai pas d’auto, j’pense au taxi, mais y prenaient pas les cartes de crédit dans c’temps-là. Faut que j’aille au guichet chercher des vingt piasses. Y’avait pas de cellulaire, y’avait rien. Y’avait les padgets. J’peux pas r’joindre ma blonde ou personne.
J’ai fini par appeler un de mes amis en pleurant pour qu’y vienne me chercher.

J’me ramasse à l’urgence. J’suis resté là 21 jours.

Y’ont trouvé ce que j’avais. Ça s’appelle un épendymome myxopapillaire.
Ce sont des tumeurs bénignes qui peuvent sortir du tissu dans lequel elles se trouvent. Ça se promène dans le liquide céphalorachidien pis ça gomme les nerfs.

Y m’ont ouvert la colonne.
J’paniquais, j’pensais que j’allais pu pouvoir marcher après l’opération parce que les médecins pouvaient endommager mes nerfs.
Après ça, j’ai eu des traitements de radiothérapie – 31 au total.
Ça m’a pris à peu près huit mois avant de refonctionner à peu près normalement.
J’avais perdu mes cheveux et j’étais tellement fatigué.

Encore aujourd’hui, j’ai des séquelles de ça.
Fatigue chronique.
Anxiété. »

Olivier parle aujourd’hui de cette épreuve avec détachement, pragmatisme. Désormais, cette injustice lui donne le carburant nécessaire pour s’occuper de celles des autres.

Il finit par reprendre une vie normale et quitte Montréal pour laisser ces épreuves derrière lui. En 2008, il commence un nouveau chapitre… sur les chapeaux de roues.

« Le lundi, mon cabinet à Montréal me disait qu’y me libérait.
Le jeudi j’avais ma job à Québec.
Le dimanche, mon fils – Alexandre – naissait.
Grosse semaine! »


Treize ans plus tard, Olivier travaille toujours chez Therrien Couture Joli-Cœur comme avocat.

« Depuis 3 ans, j’suis aussi rendu associé. J’fais du litige civil et commercial. J’suis plaideur. »

Tout de suite, il lève un doigt : il ne faut pas s’imaginer qu’il passe ses journées en cour comme on le voit dans les séries  : « C’est beaucoup de téléphones, beaucoup de courriels ».
D’autant plus qu’il essaie d’éviter les procès à ses client.e.s le plus possible.

« Généralement, on essaie de régler nos histoires avant de se rendre là, entre autres parce que ça leur coûte une fortune. »

Mais les efforts qu’il investit dans chaque cause restent souvent éthérés pour celleux qu’il défend : iels ne comprennent pas le prix qu’il charge au bout du processus.

« Un client sur quatre essaie de négocier. J’trouve ça fatiguant.
J’ai envie de leur dire “Quand tu vas chez le dentiste, ça coûte cher pis tu paies.”
Le travail que j’ai à faire, c’est long si j’veux lire, pis faire les liens, pis comprendre les faits pis regarder en droit comment je peux m’appuyer pour cette cause. Y’a pas de secret : pour gagner ou pour que ton client soit condamné au plus petit montant possible, y faut mettre le temps. »

Parce que lorsque le dossier ne se règle pas, Olivier doit se rendre devant le juge, ce qui implique plus de travail, et donc plus de frais pour le ou la cliente. Mais s’il fait ce qu’il est possible pour ne pas se rendre à ce dénouement, il ne rechigne pas à enfiler sa toge.

« Le moment le plus l’fun, c’est la plaidoirie.
C’est challengeant parce que le juge te pose plein de questions.
T’as l’adrénaline, là. Après ça, t’es mort, t’es kaput.

J’ai eu un dossier où un gars a acheté deux immeubles à revenus sur la rue Arago.
Mais en fait, y s’était fait vendre les lieux avec des faux baux commerciaux.
Dans le fond, le vendeur s’était arrangé avec des amis pour faire croire qu’y avait une exploitation d’entreprise dans les immeubles.
On est allé jusqu’au procès.
J’ai réussi à montrer que la défense était abusive.
C’était évident que le vendeur pis ses amis mentaient : y’avait rien qui se tenait.
Pis j’ai obtenu le remboursement des frais d’avocats : j’ai coûté zéro à mon client.
Ça, dans ma tête, c’est réussir à plus que 100%. »

Parce qu’au-delà de toutes les considérations financières ou judiciaires, c’est l’humain qui reste au cœur de la pratique d’Olivier. Pour cette raison, il donne aussi de son temps à des causes pro bono qui lui tiennent à cœur, comme la protection de la liberté artistique à travers la défense du droit des théâtres à ce que des comédien.ne.s puissent fumer sur scène pour représenter fidèlement une époque ou une réalité.

« Aider les gens, c’est quelque chose de merveilleux. Y’a rien de plus gratifiant. Si j’étais autonome de fortune, je choisirais mes dossiers pis je ferais ça pour la cause! »

Une fois téléphone et ordinateur fermés, Olivier redevient le père de famille, le voisin, l’amoureux (« À la fin de mon bac, j’ai rencontré ma blonde – qui est toujours ma blonde. Ça fait 22 ans qu’on est ensemble »). Mais il ne décroche jamais tout à fait : où qu’il aille, quoi qu’il fasse, il traîne toujours avec lui sa bienveillance.

« Mettons, tu roules en auto, tu laisses passer quelqu’un, pis que la personne te fait un signe de “Merci”… Si tout l’monde faisait ça, on serait tellement mieux.

Partant de ça, j’essaie de toujours être bon et sensible. J’me dis toujours que si j’fais ça, ça va me revenir, d’une façon ou d’une autre.
Ma blonde, des fois, dit “Tu donnes tout.”
J’donne mes affaires. J’vais porter des tomates pis des fines herbes à mon voisin quand j’en ai trop. J’donne des conseils pour des vices cachés.
Je pense que ça vient de mon père : c’est un saint homme, pour vrai!
Un érudit spectaculaire, la bonté sur pattes.
Y donnerait sa vie. »
Et quand il prend enfin un moment pour lui, il tourne une page et le monde se dessine autrement.

« Ma gâterie, c’est de m’acheter des bandes dessinées.
Faque j’surveille tout le temps sur les sites de BD.
Je r’garde pis j’les commande dans ma librairie.
Ma libraire m’appelle pis a m’recommande des affaires.
J’ai mes auteurs, mes scénaristes pis mes dessinateurs préférés.
J’serais capable d’acheter frénétiquement 15 BD d’une shot! »

Comme dans tout, il est minutieux, passionné. Son amour du dessin devient un rituel empreint de respect pour les œuvres qu’il dévore. Il déborde des livres et collectionne les sérigraphies, les panneaux de bois, les toiles, l’art chicano.

« Souvent, j’vais lire deux pages, pis après j’vais revenir voir le dessin pour en apprécier la qualité. »

On l’imagine, replaçant ses lunettes, ne manquant rien des histoires qui le font voyager, qui l’amènent à la rencontre de nouveaux vécus qui nourrissent son empathie pour l’autre.

Jusqu’à ce qu’à nouveau, un signal traverse le ciel – ou plus réalistement, son cellulaire.

Mais la suite est pour un prochain album.

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