Mykaell
« Maintenant je chante. Je chantais jamais avant. »
Tatouages au bras, yeux pairs, voix rauque de crooner, on l’imagine bien pousser la note devant public. Sur les murs des théâtres, partout en grosses lettres : Mykaell.
Peut-être en serait-il fier. Après tout, c’est lui qui a choisi son nouveau prénom.
« C’est ben beau te choisir un prénom, mais y faut que ça serve à quelque chose. Faut que quand quelqu’un gueule ton nom, tu te r’vires. »
Et il rit, faisant sauter le macaron aux couleurs du drapeau trans sur sa casquette.
Son meilleur truc pour tester un nom : Starbucks.
« Si la serveuse te calle pis tu te r’tournes pas… »
Autrefois, Mykaell s’appelait autrement. S’affichait autrement. À la naissance, on lui avait assigné un autre genre : féminin.
« Jusqu’à la sixième année, ça posait pas trop problème. J’pouvais m’habiller comme je voulais, jouer avec les jouets que je voulais. » Personne ne « s’inquiétait » qu’il préfère Jurassic Park aux Barbie. Mais l’arrivée au secondaire amène son lot de problèmes. Déjà les uniformes : « Les filles avaient seulement accès à des polos moulants. C’était ridicule. On s’est battus pour avoir accès à toute la garde-robe. On l’a eu l’année d’après, faque j’ai pu mettre un polo de gars pis m’en sortir comme ça. »
Ça n’empêche pas les moqueries de fuser à propos de ses jambes non rasées, de sa voix grave, de cet os proéminent qui donne l’impression d’une pomme d’Adam. On attaque la fille trop masculine, le garçon manqué.
Au bal, l’idée de leur « remettre dans’ face » : une robe rouge-orange à bretelles, une coiffure en tulipe, des bijoux blancs, des talons. « J’t’étais chicks, hein! » souligne-t-il en riant. Ne manque que le cavalier : Vincent. Quand le courage est rassemblé et que la demande est faite, Vincent hésite. « Y me répond : “Ben voyons, t’es comme un chummy de gars!” » Cette seule remarque termine tout ce que l’intimidation des autres avait commencé : « Je ferme tout ce qui est masculin en moi. Je prends toute ma haine de moi pis je l’accumule. »
Cette haine, Mykaell la traîne au fil des ans. « Si on croisait des filles qui étaient masculines, je m’haïssais tellement que je disais à ma blonde : “Si un jour je r’ssemble à ça, tu m’fesses. Tu m’tues.” »
Mykaell arrive à nommer cette rage aujourd’hui : de la transphobie intériorisée.
C’est à Montréal que le nœud commence à se dénouer au contact de la variété de réalités. Mais le sujet reste tabou, même en son for intérieur : « J’me répète “J’pense pas que j’suis trans”. Mais je checkais quand même des choses de personnes trans sur Internet! »
Et puis, il y a eu le H&M.
« J’y vas pis j’me dis : “Calique, les gars ont tellement des belles chemises. Maudit. Pourquoi j’peux pas…” Pis ma fréquentation du moment, a’ me r’garde pis a’ fait : “Ben, c’est juste du linge. Vas-y.”
Moi j’suis comme : “ ‘Tu folle, criss?”
J’avais jamais traversé dans la section des hommes d’un magasin.
Elle, ‘a m’pousse : “Envoye!” Là, moi je capote. Arrive aux cabines pour essayer ça, pis j’me dis “C’est sûr que le vendeur, y va voir que c’est du linge pour gars. Y va m’juger. C’est sûr qu’y va passer un commentaire.”
Pantoute.
Rentre dans’ cabine, essaie les chemises. C’est super beau. Achète les chemises.
Après, je les avais quasiment 24/7 sur le dos. »
Par petits pas, les tablettes de sa salle de bain se remplissent d’objets pour hommes : savons, shampoings, parfums. Tout aussi tranquillement, les questions refont surface, le rapport au corps évolue. Quand Mykaell, de retour dans la région de Québec, s’engage avec le GRIS – un organisme ayant pour mission de démystifier les réalités sexuelles et de genre, entre autres dans les écoles – on lui fait l’éloge de cette lenteur, du droit à essayer même si on n’est pas sûr : « En parlant de mes réticences, on me répond : “T’es pas obligé d’aller vers les hormones, t’es pas obligé d’aller vers les chirurgies. Tu peux prendre ton temps, tu peux essayer que les gens t’appellent au masculin. Pis si tu trippes pas, fuck off, c’est tout’.” »
Mykaell demande à sa blonde d’essayer de l’appeler au « il » à l’occasion.
« Pis la première fois qu’a m’a dit que j’étais beau, ça m’a fait un effet comme… Comme si toute ta vie t’avais porté un imperméable sous la pluie, pis là tu l’enlèves. Là, t’a sens, la pluie. »
« Depuis toujours, les compliments qu’on m’avait fait – que j’étais belle, que j’étais brillante –, j’étais comme “haha, merci”. Ça m’faisait rien. »
« J’me souviens, on se préparait pour sortir. Faque j’mettais une chemise-cravate, j’m’arrangeais devant l’miroir. Ma blonde était dans l’cadre de porte pis ‘a fait’ : “Hein, t’es pas mal beau.” »
« Ç’a fait POW. Le cœur qui t’explose, les jambes molles. »
« J’étais comme : mon Dieu, c’est ça des compliments? Quessé ça! J’en veux d’autres! »
Et il rit.
Maintenant, Mykaell continue sa transition pour que son corps corresponde davantage au genre qu’il sait être le sien. Il se reconnaît dans les miroirs, il aime ce qu’il y voit, ce qui jaillit.
« Tsé, quand tu te rends compte que tu te faisais écœurer parce que t’avais une voix grave. Pis là, t’es en train d’aimer ta voix qui est encore plus grave. Moi, ça a été ça. Maintenant je chante. Je chantais jamais avant. »
Mais, plutôt que sur les scènes, c’est devant les salles de classe que Mykaell inspire lors de ses interventions avec le GRIS.
Mykaell explique lors de ces interventions que ses changements sont une manière de faire sortir la personne qui existe depuis toujours en lui : « C’est ça qu’on est en train d’essayer de faire comprendre à la société : une personne trans devient pas quelqu’un d’autre. »
« C’est comme une canne de conserve qui a des carottes dedans pis qu’est étiquetée “P’tits pois”. Ok? Une personne trans, c’est la même chose : elle était homme, mais la société lui a imposé une mauvaise étiquette. »
Ce qui est important : chacun son rythme. « Moi perso, c’est quelque chose que j’aimerais voir plus dans la représentation [tv, publicité, etc.] : des gens qui prennent leur temps dans la transition. Des gens qui, justement, se posent des questions, qui vont pas à 100 milles à l’heure en voulant toute maintenant. C’est important de parler du pendant, pas juste de l’avant/après. Tu vas passer un méchant boutte en transition. Y faut valoriser le temps que ces parcours-là prennent, tous super différents. Pis parler de la diversité des corps, pour enlever la course à la chirurgie qui est loin d’être magique. »
Au final, Mykaell souhaite qu’on se détache des images fixes qu’on s’est construites des gens qui nous entourent pour mieux apprécier leur mouvement intérieur. « Chaque personne est une personne en évolution pis ça se peut qu’a’ change. Ça se peut qu’a’ fasse un changement de carrière, ça se peut qu’a soit trans, ça se peut qu’une femme ait toujours été en couple avec des hommes pis que finalement a’ rencontre une femme pis que c’est l’amour éperdu. »
« Pis tout ça, c’est ben correct. »
Et il sourit.
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