Mario
Carmen, Brenda, Nicolas,
Marjolaine, Nathalie, Yves,
Mme Roy, Mme Picard,
Cécilien,
Daniel, Murielle, Valérie,
Véro, Stéphanie,
Nahm,
Mogélie, Éliane, Rosalie,
Jean, Nadine,
Gilles,
et Gilles.
Mario restitue les noms. Pour chaque anecdote, il prend le temps de mentionner qui et pourquoi. Quand il nomme, on voit leur visage, on entend leur voix. Il les invoque.
On comprend que Mario s’est construit avec la somme de ses rencontres.
« J’ai pas peur de valoriser les gens. On est pareils. »
« Je souhaite que les gens autour de moi soient heureux. »
Ce qu’il aimerait : qu’on rende la pareille aux préposé.e.s aux bénéficiaires. Encourager celles et ceux qui prennent soin de nos aîné.e.s. Comme il le fait depuis plusieurs années.
« Y va falloir du monde qui disent “Oui t’es bon. Oui, essaie ça. Essaie de les aider.” Qu’on nous fasse confiance, tsé. »
« La job de préposé, premièrement, c’est les yeux, les oreilles du médecin. Faut que tu sois à l’écoute. Faut que tu sois capable que ton patient ou ta patiente – peu importe son état – ait confiance en toi à l’extrême. »
Quand il parle de son rôle, Mario s’anime.
« Je suis l’homme le plus malheureux du monde, mais l’hôpital, ça m’apporte. Ça m’apporte beaucoup. »
Ça surprend quand il s’avoue « l’homme le plus malheureux du monde ». Volubile, ponctuant ses phrases d’une tape sur la cuisse, d’un poing dans la main, d’un rire ou d’un sacre, Mario représente le « bon vivant ». À l’écouter, on se rappelle qu’il ne faut jamais sous-estimer la peine de quelqu’un.e. Qu’on doit se faire attention.
Il faut dire que Mario s’est cherché longtemps.
Il est l’aîné d’une famille de sept enfants ayant grandi dans un HLM.
Il est un ancien bassiste, un ancien éclairagiste, un ancien plombier, un ancien désosseur à l’abattoir, un ancien passeur de publisacs.
Il a fait 2 tentatives de suicide.
Heureusement, il avait sa grand-mère, un ange gardien. Mario parle d’elle avec émotion et bienveillance. À qui voulait l’entendre, elle disait : « Je l’aime pis j’le juge pas. » Même lorsqu’il se mettait dans le pétrin. Il l’accompagnera jusqu’à son décès, la visitant à l’hôpital presque tous les jours, au point d’être adopté par le corps médical qui le laisse entrer à toutes heures. Il se couchera à côté d’elle dans ses derniers instants.
Mario affiche sa vulnérabilité avec force et détermination. Il déballe ses points tendres comme autant de cadeaux qu’il nous offre :« J’te jure, je l’ai vraiment pas eu facile. Mais grâce à ça, j’suis content d’être Mario aujourd’hui. »
Malgré les épreuves, une constante se dessine dans sa vie : « M’impliquer, j’adore ça. »
Il entame donc des études pour devenir préposé aux bénéficiaires. Mais là encore, les embûches sont grandes.
« Moi, j’ai eu sept échecs à l’école. »
Un jour, sa professeure lui donne un conseil :
« A’ dit “Mario, essaie de visualiser.”
Parce que quand je lisais des livres ça d’épais, j’catchais pas. »
« Samedi matin, j’me lève.
J’embarque dans mon char, j’m’en vas m’parquer à Place Laurier, j’rentre au CHUL.
J’ai ma carte étudiante dans mes poches.
Je sais vraiment pas c’que j’m’en vas faire.
J’essaie de visualiser.
Sans ça, j’étais sûr à 500% que j’passerais pas. »
« J’me promène sur les étages.
Là, j’arrive dans une aile. Pis ça m’interpelle parce que j’vois les pompes, j’vois toute.
Y’a une femme qui arrive. L’infirmière en chef.
A’ m’dit “ ‘scusez-moi, monsieur, cherchez-vous quelqu’un? Parce que j’vous ai vu de l’autre côté.”
J’réponds “Non, probablement que j’me suis trompé d’étage.”
A’ dit “Ah, c’correct.” Beau sourire, toute. Ça reste de même. »
« Le lendemain, vu que j’avais tellement aimé cet étage-là, j’me dis “M’a y retourner.”
Mais moi, l’cave, j’pense pas qu’y sont là, esti, toute la fin de semaine!
Qui tu penses que j’rencontre?
Là, la femme me dit “Là, monsieur, dites-moi pas encore que vous vous êtes trompé d’étage, vous étiez icitte hier. J’suis l’infirmière-chef. Faut-tu que j’appelle les agents de sécurité pour vous sortir ou vous allez sortir?”
Là, j’sors ma carte :
“J’suis étudiant à Lévis. J’veux juste voir comment ça marche. C’est quoi un préposé aux bénéficiaires.”
A’ regarde ma carte, a’ part à rire pis a’ call deux préposés. “Monsieur Girard, vous allez rester avec eux autres. Vous touchez à rien, vous dites a’rien.”
A’ dit aux deux gars : “Montrez-y c’que vous savez faire.” »
« Quand j’suis retourné à l’école le lundi, j’tais reviré boutte pour boutte. »
« C’est là que j’me suis vraiment senti à ma place comme préposé aux bénéficiaires. »
Du haut de ses 5 pi 4 ¾ (« J’oublie jamais le ¾! »), Mario s’investit maintenant tout entier dans son travail.
Dès qu’il met son uniforme, il sort son côté clownesque pour interagir avec ses patient.e.s. Un peu comme dans la pièce CHSLD.
Il l’avoue, c’est peu orthodoxe. Mais ça semble fonctionner.
« J’suis en santé mentale : alzheimer, délirium.
J’ai des gens qui frappent. On reçoit les cas lourds sur mon étage.
J’ai des amours, j’ai des gros bébés. »
Avec cette dame, pour réussir à l’asseoir sur un siège d’aisance, il s’amuse à jouer au quart arrière de football. « 10-14-24, hut hut hut! Pis a’ baissait ses culottes pour aller sur la chaise d’aisance! C’était le seul moment où elle avait du tonus. »
Avec cette autre dame, il doit faire attention à « ti-noér », son chat mécanique pour ne pas lui faire mal.
Cet autre monsieur que la mère de Mario a aidé quand il était plus jeune (« Mario, t’es dans mon cœur pour toute ma vie. »), on garde l’œil ouvert : « C’est le pire pickpocket! »
Mario sourit : « J’suis chanceux. J’suis vraiment chanceux. »
Même devant les cas plus difficiles, il essaie de comprendre.
Comme cet homme qui était violent avec tout le personnel. Mario a pris un mois et demi à le cerner et à le travailler. Il a fini, en déjouant son mécanisme de défense avec compassion, à trouver une manière de l’apprivoiser. Le personnel en était impressionné : « Tabarouette, t’as le tour avec! »
À un tel point que Mario se fait convoquer en réunion pour essayer de le comprendre. On lui demande « Pourquoi t’es capable de faire ça avec? » Ce à quoi Mario répond : « Y’a le même vécu que moi. Y’a été dans’ rue, y frappait, y buvait. Y’était pas aimé. Pis y’a une journée, j’me suis assis avec ce gars-là. J’le respecte énormément. »
Mario se frotte le bras droit pour calmer ses frissons. Comme chaque fois qu’il parle avec émotion : « Pour moi, c’t’important d’être quasiment… leur fils. »
Au final, il compte beaucoup sur son équipe, qu’il voit comme « une petite famille ».
« J’veux apporter de quoi aux gens avec qui que j’travaille, j’veux qu’y tripent. »
Mais, en dehors des bonnes énergies et de l’entraide, la réalité reste cependant dure.
« Ça fait un an et demi que j’ai pas pris de vacances. Oui, il manque du monde. Au lieu d’être 18, on est rendus 10 à cause de la COVID. »
« Astheure, on a juste des jaquettes en plastique. Ça respire pas ben ben. »
Il regarde son tatouage représentant la baguette d'Esculape, le serpent enroulant une tige. « C’est une vocation. C’est pas tout le monde qui l’a. »
On sent cette vocation dans chacun de ses mots, de ses rires.
« J’suis chanceux. J’ai 58 ans. Mentalement, ça va mieux. Des fois, j’trouve ça dur la solitude. Mais j’vais chercher beaucoup d’amour avec mes patients. »
Il la combat, cette solitude. Il écoute de la musique. Il se promène au Québec.
Et il écrit.
« Dans un grand désert de négation
Seulement un grain de sable positif passe à travers.
Lorsqu’il se retourne
Face à ce grand désert de négation
C’est rendu possible d’être positif. »