Maryam

Maryam

« Le féminisme, c'est avoir le choix. That's it. »

La seconde d’avant, elle riait aux éclats, lumineuse. La seconde d’après, elle s’exprime sur la politique africaine et orientale avec intelligence. Mais, à l’instant où elle prononce le mot « féminisme », elle est incandescente, solaire.

« Il faut aussi reconnaître l’intersectionnalité de toutes les oppressions envers les femmes. On ne peut pas se targuer d’être féministe et, mettons, ne pas reconnaître les femmes autochtones, les femmes trans, ou les femmes noires, les femmes handicapées... »

Cette intersectionnalité – le fait de ne pas occulter ou hiérarchiser les identités et inégalités quand vient le temps de défendre un enjeu – lui tient à cœur. N’oublier personne. Jamais.

Elle fait de grands gestes avec ses bras, rassemble le plus de monde dans cet air qui tourbillonne devant elle. On y sent sa famille du Maroc, tout près, et celle du Québec qui se tisse depuis 11 ans déjà. À elle seule, Maryam est une société, une révolte, du bonheur. Toujours prête à de nouvelles rencontres.

« Si quelqu’un m’invite à manger dans sa synagogue, j’irai en chantant! »


On la connaît pour ses chroniques à la radio. Pour sa place dans le conseil d’administration de la Ligue des droits et libertés, section Québec. Pour sa présence sur des panels, à des conférences. Pour son rôle de co-porte-parole des commémorations de l’Attentat à la grande mosquée de Québec. Elle est multiple, partout.

« Ça me fait plaisir quand des ami.e.s me demandent de m’impliquer. Mes critères : que ça fasse la promotion des droits et libertés ou de la diversité dans la Ville de Québec sous toutes ses formes. »

L’engagement de Maryam s’est bâti sur le long terme, brique par brique depuis son enfance.

« On a toujours beaucoup discuté chez nous. Il n’y avait pas de tabous. »

« Quand j’étais au Maroc, j’étais impliquée dans les associations étudiantes. Mais, c’était de l’implication à petite échelle. »

«Autant que je me souviens, je me suis rebellée sur la condition des femmes. »

Cette manière de se préoccuper des enjeux qui l’entourent l’a rendue consciente de sa place en société, de l’impact de sa voix. Mais en arrivant au Québec pour ajouter des études en urbanisme à son diplôme en architecture, elle met de côté cette flamme. Du moins pour un temps.

« Je me disais que je voulais être la meilleure immigrante qui soit. Je voulais être l’irréprochable, la parfaite qui a fait ses études, qui travaille dans son domaine. »

Alors qu’elle s’enracine dans son nouveau chez-soi, elle garde l’œil ouvert, apprécie les beautés de sa patrie nord-américaine tout en y découvrant des fêlures.

« Il y a eu des iniquités, et ça m’indignait. Ça me fâchait à chaque fois. À chaque fois. Je trouvais ça injuste. Et à chaque fois, je me disais : “On n’a pas assez de voix. On ne s’implique pas.” »

Les standards inatteignables de la « parfaite immigrante » commencent eux aussi à se fissurer : il devient dur de se taire tout en subissant les failles du système. « Cette perfection-là n’est atteignable que dans l’imaginaire de ceux et celles qui l’ont inventée. »


« Le gros wake-up call, ça a été le 29 janvier 2017. »

Coin Sainte-Foy et de l’Église. 19h45.
Les balles. L’inimaginable.
Six vies qui s’arrêtent :
Ibrahima Barry
Mamadou Tanou Barry
Khaled Belkacemi
Abdelkrim Hassane
Azzedine Soufiane
Aboubaker Thabti
Huit blessés.
Une ville dans la noirceur.

« C’est comme s’il n’y avait plus d’autres choix que de se dire “Ok. Là, maintenant, va falloir s’impliquer. On n’est pas en train de changer le monde. Mais on va essayer de changer les choses, de faire de la sensibilisation à notre niveau.” »

Tout faire pour que ça ne se reproduise pas. Sensibiliser les concitoyen.ne.s sur la peur et la haine. Militer contre le racisme systémique.

« Ce qui m’exaspère, c’est ce discours de négation : “Non, ça n’existe pas.”
Et après, c’est du gaslight : “Ben, les Québécois ne sont pas racistes.”
Mais qui a dit que les Québécois étaient racistes?
Le Québec, c’est une société hospitalière, qui accueille la diversité, c’est certain.
Mais de dire qu’il n’y a pas d’homophobie, d’islamophobie, de racisme systémique, de discrimination ou de racisme tout court… Ben, c’est ça, le problème. Le gros problème, c’est de nier que ça existe. »

Depuis, Maryam s’investit pour la diversité, le vivre-ensemble. Elle embrasse la culture québécoise sans oublier sa culture d’origine. Mais elle reste lucide quant au chemin à parcourir.

« Des Alexandre Bissonnette, y’en a pas 25 000 au Québec, mais il en suffit d’un seul. »


La peur qu’il faut combattre, c’est celle de la différence. Et le port du voile peut être vu comme un symbole de cette différence.

« Je ne sens pas ce besoin d’étaler ma religion. Mis à part mon “signe ostentatoire” auquel je tiens beaucoup! »

Le rire lucide, éloquent de Maryam.

« Mais j’y tiens encore plus maintenant parce que je refuse que quelqu’un me dicte à quoi je devrais ressembler. »

« Personne n’aura mainmise sur le moment où je devrai l’enlever, de 9 à 5 pour travailler ou je ne sais quelle autre chose. »

L’œil vrai, ferme de Maryam.

« Je trouve ça injuste pour les femmes qui portent le niqab, qui couvre tout leur visage. Écoute, est-ce que je suis d’accord? Non. Mais est-ce que c’est moi qui le vis? Non. Est-ce que je suis solidaire avec ces femmes-là? Oui. Totalement. À 100%. Parce que c’est leur choix. »

« On ne devrait pas, comme société, les mettre sur le banc des accusées et les marginaliser encore plus en leur enlevant des droits. »

« De toute façon, tout le monde doit se couvrir le visage en ce moment à cause de la COVID-19 et personne en est mort encore que je sache! »

À nouveau, le rire clairvoyant devant l’ironie.

« Chaque fois qu’on perd une parcelle de liberté, c’est une porte vers la perte d’autres acquis. »

C’est cette indignation qui incite Maryam à être de toutes les tribunes qu’on lui offre, si elle les juge pertinentes. Elle parle en suivant ses convictions, sans rendre de compte à aucune affiliation. « Je ne représente pas la communauté musulmane. Et surtout, il n’y a pas unecommunauté musulmane, il y a des communautés musulmanes. » Comme autant de fleurs dans un bouquet.

Elle choisit ses combats comme de précieux cadeaux à offrir à celleux qui l’entourent.

Ça ne veut pas dire qu’être la porte-parole de certaines idées est un rôle facile : « Des fois, tu es fatiguée et ça te tente pas. Mais après, tu te dis : “Mais si je le fais pas, il y a personne d’autre qui va le faire!” »

« C’est jamais dans le plan de vie de personne d’aller devant le parlement pour justifier son existence. »

Mais il le faut.

« On doit pouvoir vivre comme on veut dans une société qui reconnaît tout le monde comme il est. »

Ce qui anime Maryam, ce sont les projets qui rappellent la puissante beauté de la diversité. Et des femmes qui la constituent, tout particulièrement.

« J’aimerais bien qu’on interpelle les minorités, les femmes musulmanes, quand ça va bien. Cultiver le réflexe de montrer ce beau visage. »

« Celles que je connais, ce sont toutes des femmes super bien intégrées, diplômées, qui parlent français. Il y a beaucoup d’entrepreneures, elles émettent des idées nécessaires. Du même coup, ces femmes ont la lourde tâche d’élever leurs enfants pour qu’ils et elles aient un lien avec leur culture tout en étant Québécois.es. »

Maryam en parle avec tendresse, saluant cette force inspirante.

Maryam, plurielle de celles qu’elle côtoie et unique de cette volonté qui est sienne.

Toujours présente pour combattre les images réductrices, castrantes, pour « occuper un espace public, renvoyer cette image que les gens ne voient pas souvent. Casser des stéréotypes – comme dans mon cas –, de femme musulmane portant un voile. » Contrer le patriarcat qui veut soit faire de la femme musulmane un être soumis en raison d’une tradition machiste qu’on refuse de questionner, soit la transformer en une copie de la femme blanche occidentale dite « libre ». Ici comme ailleurs.

Et surtout dans St-Roch, son « quartier de cœur. »

« Ici, le monde entier se montre, il s’affiche. Et on le goûte aussi. C’est-à-dire qu’on peut acheter des produits ethniques, on peut découvrir plein de petits restaurants. Et c’est délicieux. »

« La diversité, ça se savoure! »

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