Sébastien

Sébastien

S’il se penche vers l’avant et s’appuie sur ses genoux.
S’il a un regard stellaire, vif.
C’est que Sébastien va parler de musique.

« J’ai toujours vraiment trippé sur la musique.
Depuis que j’suis jeune, je fais de l’art.
Dessiner ou créer des affaires.
Mais c’est la musique qui me fait le plus tripper. »

Il connaît les statistiques.
« 1998 – mes douze ans – l’année la plus lucrative de l’industrie du disque ever. »
Il nomme les courants, les bands comme de vieux compagnons.
« Radiohead, Red Hot Chili Peppers, Primus. »

Il se rappelle la trame sonore de sa jeunesse comme d’une courtepointe d’influences.

« Ma mère faisait de la danse sociale pis a’ me montrait à danser le cha-cha sur Ginette de Beau Dommage.
On avait des albums de Michael Jackson.
Pis à travers ça, j’aimais beaucoup la musique plus extrême, comme Rage Against the Machine, Sonic Youth, Pantera. »

Sébastien est fluide, touche-à-tout musical qui flirte avec plusieurs genres opposés.
Ce qui lui vaut une étiquette de marginal à l’adolescence.

« J’me suis mis à faire de la musique qui – même si elle avait la saveur punk rock de l’époque et tout ça – s’effondrait souvent dans un mur de noise extrême pis dark. Sur la Rive-Sud de Québec d’où j’viens, c’était pas bien vu d’oser des choses plus différentes comme ça. J’me suis fait écœurer. »

Le milieu est difficile, éloigné de la ville, plus propice à la dérive. Sébastien fait malgré tout le choix de suivre sa passion.

« Ça a été tough parce que j’ai fait le mauvais move de m’acheter des instruments de musique au lieu de m’acheter un véhicule. J’étais comme pris là. En étant aussi loin qu’à Saint-Étienne, t’as pas d’alternatives pour rencontrer du monde qui te ressemble si t’es différent.

Faque si t’as envie d’autre chose, y’a pas mal juste la drogue qui vient te rejoindre là-bas. »


Sébastien ouvre son histoire sur ses études au secondaire en Programme d’éducation internationale (PEI) à Rochebelle, Québec, où il se rend depuis la Rive-Sud. Il en garde des souvenirs heureux, des ami.e.s qui le suivent encore aujourd’hui. Certain.e.s font toujours de la musique avec lui.

Mais il s’y sent différent.

« J’étais au PEI, mais c’était un peu off parce que je venais pas trop trop du même genre de milieu que les autres élèves. »

Alors qu’autour de lui, on veut devenir professeur.e, médecin, avocat.e, Sébastien persiste : il veut faire du rock.

« Arrivé à 18 ans, j’comprends pas comment être un adulte.
C’est pas que j’veux pas. C’est juste pas là.
J’avais aucune espèce d’ambition dans l’monde. Ce qu’on appelle les mondanités. Être une personne dans le monde. J’comprenais pas ces trucs-là. »

Au secondaire, Sébastien refuse de toucher à tout type de substance : alcool, drogue, cigarette. Il incite même ses ami.e.s à suivre son pas, créant parfois des conflits; c’est l’âge des expériences, après tout.

« J’étais rigide par rapport à ça.
Astheure, mes amis font souvent des blagues sur à quel point j’étais comme un tortionnaire psychologique.
Mais j’étais tellement intense qu’ils se sont mis à me cacher des choses. C’était pas sain mon affaire.
Parce que j’avais pas tant de grip sur le réel, je voulais peut-être avoir une grip sur les gens autour de moi. »

Finalement, il se dirige en cinéma au cégep. Ce nouveau milieu s’accompagne de nouvelles expériences. Il a beau résister, ses barrières cèdent.
« Assez rapidement, j’me suis mis à fumer du weed. »
Sauf que la musique l’appelle. Il déménage à Montréal avec un ami pour poursuivre sa passion.
« On atterrit dans Côte-Saint-Paul, un quartier fucking pauvre.
On se faisait souvent voler par effraction. Y’avait tout le temps des gens en détresse qui venait crasher chez nous. »

La difficulté à trouver sa place dans le monde adulte. L’inconnu de la grande ville. La précarité. Les repères sont vaseux, glissent entre ses doigts.

« T’es au secondaire, t’as ta gang tight.
T’es capable d’avoir ton identité là-dedans.
Pis là, ça éclate.
Pis là, tu te cherches.
Y’avait pas trop d’options que j’arrivais à voir comme viables. »

Et dans les rares options à portée de main, ce voisin qui vend des amphétamines.

« Le déclic, pour vrai, je sais pas ç’a été quoi.
J’avais pas d’outils.
Ça m’a donné de l’énergie.
Moi j’avais envie de faire de la musique, ça m’a permis d’en faire plus.
Tout ce qui m’intéressait, c’était de focusser sur la musique le plus possible. »

La musique, même dans la chute.

« J’suis revenu chez ma mère sept-huit mois après avec une sévère addiction.
Ça a duré huit ans. »


Avec le recul, Sébastien parle de son vécu avec détachement. Il nomme les épreuves comme des objets hors de lui, sur la table, à décortiquer. Il sait que ça ne le définit pas.

« C’était surtout la peanut, le crystal meth.
J’me suis jamais shooté.
J’prenais pas d’coke, c’est ben trop cher.
J’prenais de la drogue de pauvres qui dure longtemps, qui coûte pas cher.  »

Avec cette consommation abusive sont venues les confrontations, les manipulations. L’impossibilité de s’insérer dans la société.

« J’me suis fait mettre dehors d’entre 27 et 30 jobs.
J’sortais d’là en criant après l’monde.
C’était devenu très très weird.
Mes amis avaient pas mal tous de la compassion.
Mais à un moment donné, c’était un mélange de “on peut pas rien faire”
pis d’être écœurés que je leur demande des affaires constamment.
Mais j’ai d’la chance : y sont tous restés. »

L’argent manque. L’instinct de prendre soin de soi – bien manger, bien dormir – s’efface. Sa santé dégringole.

« Chaque fois que j’me levais de mon lit, j’devenais aveugle pendant 10-15 secondes, parce que je faisais des chutes de pression.
J'ai dû me faire arracher les quatre dents d'en avant, parce qu'elles étaient rongées jusqu'à la racine.
J’étais constamment à la limite de la psychose. J’me suis réveillé plusieurs fois à l’hôpital, aucune idée de comment j’tais arrivé là. »

Tout au long de sa toxicomanie, le paradoxe résonne cependant dans sa tête  : il sait qu’il est dépendant.

« J’ai jamais voulu faire ça. J’ai toujours voulu arrêter.
J’ai jamais romancé ça.
J’étais pas vraiment capable de trouver en moi la force de pas le faire.
J’me suis mis à me dénigrer beaucoup. »

Lucide dans sa détresse, brillant derrière le voile des stimulants, Sébastien cherche de l’aide.

Et il en trouve.


« Moi, j’ai arrêté de consommer le jour où j’ai été voir Trainspotting. »

Du même souffle, il nuance :

« Faut pas se compter des salades, c’est un problème très profond, la toxicomanie. Pis c’est pas juste la vue d’une pièce de théâtre qui va faire arrêter ça. C’est un processus. »

À l’époque, il fréquente une maison d’hébergement de PECH, un organisme venant soutenir les individus dans une situation délicate liée à leur santé mentale. Sébastien sera toujours reconnaissant du travail de reconstruction que PECH – entre autres ressources – lui a permis d’accomplir.

« T’arrives là, y te d’mandent c’est quoi tes rêves, c’est quoi tes qualités, c’est quoi ton savoir-faire, qu’est-ce que t’aimes. C’est juste positif. Y sont payés pour être tes amis. Tu vas là pis ça te rewire. »

Malgré toute la bienveillance de l’organisme, Sébastien est alors dans une période sombre qui rend son accompagnement difficile, peut-être impossible.

« Ça faisait trois semaines que je consommais à chaque semaine pis que je revenais là.
Pis les intervenants étaient comme genre “Seb, on comprend que t’essaye, mais là y va falloir te dire de t’en aller si t’arrêtes pas.”
C’est un intervenant qui m’a amené voir Trainspotting.
C’était inspirant de voir ces gens-là faire du théâtre, du monde de mon âge à peu près, full vivant sur scène.
Le propos en quelque part m’interpellait.
C’était touchant, c’était bien fait.
Mais surtout, j’me disais “C’est ça que je veux faire”.
Pas vivre sur le plancher du débarras de ma vendeuse. »

Cette expérience déterminante lui a permis de mieux poursuivre le parcours de guérison déjà entamé et de le mener à terme.

« J’ai eu beaucoup d’aide pour ça.
J’ai fait 12 ans de processus thérapeutique au total.
J’ai fait huit thérapies.
J’ai habité cinq ans dans un centre communautaire.
J’ai été suivi par des dizaines d’intervenants.
J’ai mis fin à ce processus-là y’a deux ans. »

Les changements sont lents, mais finissent par s’ancrer en lui. Profondément.

« Pendant longtemps, j’ai fait des cauchemars récurrents. Des cauchemars vraiment dégueulasses pis oppressants.
En allant à PECH, tranquillement, même dans mes rêves, j’me suis mis à être capable de débattre avec mes monstres.
J’suis pas une personne ésotérique. Pour moi, les rêves, c’est une partie du corps.
Mais ça montrait le positif pis la prise de pouvoir dans le subconscient qui était en train de se passer. »

« Un changement vers un imaginaire plus positif. »


Aujourd’hui, Sébastien est en très grande forme. Il peut maintenant compter sur une santé physique, mentale et relationnelle forte, reconstruite. Il s’entraîne, il médite. Il est solide, et a grande soif d’accomplir plus dans le monde.

« J’vais entreprendre une démarche d’orientation bientôt. J’aimerais aller en santé à temps partiel, pour me garder du temps de musique.
J’suis en train d’écrire un livre sur la réhabilitation, sur la reconstruction de la personnalité.
J’fais aussi des témoignages pour Centraide. Ça m’gêne pas vraiment, j’aime ça faire ça. »

Il comprend que son parcours est spécial. Qu’il peut en aider d’autres.

« Si j’peux partager ça, ça m’fait plaisir. Ça m’motive que ça puisse servir. Que cette expérience-là puisse nourrir une conversation de société. Si t’es tout seul là-dedans, t’es seul en tabarnak. »

S’il est fier de ses accomplissements, il sait qu’il a encore du chemin à faire.

« Aux yeux des autres, de plus en plus, c’est positif.
Mais y faut que ce le soit à mes yeux aussi. »

Il y travaille, dit-il.
Et le voilà qui se penche vers l’avant et s’appuie sur ses genoux.
Son regard stellaire s’avive.

« Un de mes derniers albums avec un de mes bands a eu une full page dans Le Soleil.
Critique dans Le Devoir pis toute.
On a joué au FEQ.
J’ai aussi fait de la musique avec Catherine Dorion pendant la campagne de 2018. Ces trucs-là m’ont permis de me donner une bonne estime de moi. »

La musique, jusque dans la montée.

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